Fabien, l'enfant du chou

Dans un petit village de France entouré de montagnes vivait autrefois une fillette nommée Rosalie. Sa grand-mère Ursule, qui l’élevait, prétendait l’avoir trouvée dans une rose. Enfant choyée, Rosalie désirait plus que tout avoir un petit frère et se demandait d’où venaient les bébés. Était-ce Dieu qui les façonnait avec l’eau de la pluie, la terre des jardins, était-ce le soleil qui insufflait la vie à leurs corps ? Sa grand-mère lui avait expliqué que les petits garçons se formaient dans les choux. Quand une femme désirait avoir un enfant, elle plantait un chou et devait l’entourer d’amour pendant neuf mois. Alors il arrivait qu’un bébé naisse. Mais tous les choux n’en contenaient pas. Ceux-là, on les mangeait.
Un jour, Ursule rentra du potager avec un panier rempli de choux magnifiques. De belle humeur, elle les posa sur l’évier de la cuisine. Tout en les lavant à grande eau pour préparer la soupe, elle chantait à tue-tête :

Pour faire la bonne soupe d’Ursule
À l’heure dorée du crépuscule
J’y mets un chou, deux choux, trois choux
Mais ce n’est pas tout !
Lundi j’y mets trois céleris
Mardi j’ajoute deux radis
Le mercredi du pissenlit
Et le jeudi un salsifis
Le vendredi un brin d’persil
Le samedi du pain rassis
Et le dimanche
Je la mange

Tout en chantant, elle sortit un couteau aiguisé et entreprit de couper le plus gros chou par la moitié. À cet instant retentit un grand cri et éclatèrent les pleurs d’un bébé.
— Arrête Grand-Mère ! hurla Rosalie, il y a un bébé à l’intérieur ! Arrête, tu vas le tuer !
Nul doute, le chou avait crié ! Effrayée, Grand-Mère Ursule le lâcha et il alla rouler sous l’évier.

Cette nuit-là, Rosalie se leva, alla chercher le chou dans la cuisine, le posa sur son lit, écarta les feuilles vertes et vit à la lueur de la lune un tout petit bébé blotti au cœur du chou. « Grand-Mère a dit vrai ! pensa-t-elle. Les petits garçons viennent des choux ! Quelle chance ! C’est la première fois que j’en trouve un ! Mais celui-ci n’est pas encore prêt à naître. Il faut qu’il grandisse. » Pas plus grand qu’un doigt, recroquevillé sur lui-même, le bébé ressemblait à une grenouille avec sa grosse tête et ses membres malingres. Rosalie le cacha sous sa commode et se recoucha. Un peu plus tard, elle fut réveillée par des pleurs. Un bébé gigotait sur le sol de sa chambre à côté du chou. Son petit frère était déjà né ! En toute hâte, Rosalie l’enveloppa dans une couverture et l’apporta à sa grand-mère. Devant un tel miracle, la brave Ursule ne savait que faire. Elle alla solliciter les conseils de la sorcière de la montagne.
—Ce n’est pas un enfant ordinaire, déclara la sorcière. Il faut le nourrir avec du lait de la Voie Lactée.

On nomma le garçon Fabien, nom qui signifie « fève » en latin. Chaque soir, Ursule et Rosalie déposaient un petit pot de grès devant leur porte, et chaque matin, elles le retrouvaient rempli d’un lait brillant et translucide qui avait la texture des nuages. Nourri de ce lait fabuleux, Fabien grandissait à une allure prodigieuse. Dès qu’il sut parler, il dit à Rosalie :
— Grande sœur, je ne suis pas d’ici. Ma mère est une étoile et mon père est le ciel. L’autre jour, mon âme est tombée sur la terre. Les rayons de la lune l’ont déposée au cœur d’un chou. Là elle est entrée dans le corps d’un bébé. Je voudrais retourner là-haut car je m’ennuie de mes parents. Ce soir si tu le veux, je t’emmène avec moi sur le dos de la jument de nuit.
Au coucher du soleil, la jument de nuit arriva au galop. Elle était noire comme l’espace intersidéral et ses yeux étaient deux sphères de feu. Rosalie avait un peu peur mais le petit garçon riait aux éclats. Les enfants montèrent sur son dos, et d’un sabot léger, l’animal s’élança vers les confins de l’univers. Les anneaux flamboyants de Saturne s’esquissaient dans la nuit, quand Rosalie se pencha vers la terre. Alors le secret de sa naissance lui fut révélé. Elle se revit bébé, enveloppée de grossiers chiffons, sur les marches de l’église. Elle pleurait de froid et de faim, mais des mains chaudes la saisissaient, une femme la serrait dans ses bras aimants et l’emportait vers la maison. C’était Ursule, plus jeune de quelques années. En contrebas, la fillette aperçut le potager de sa grand-mère. Comme elle se penchait davantage pour admirer les choux, elle chuta dans le vide tandis que la jument, poursuivant sa course, emportait son petit frère jusqu’à la Voie Lactée, là où naissent les âmes des bébés dans les amas d’étoiles.
La chute de Rosalie prit fin dans une rose géante. Des pétales lui entraient dans la bouche et l’étouffaient. Il faisait une chaleur atroce dans ce jardin. Elle cria et ouvrit les yeux. Non, ce n’était pas une rose, c’était un lit. Ce qu’elle avait pris pour des pétales, c’étaient ses draps emmêlés dans lesquels elle se débattait.
— Petit frère ! appela-t-elle. Où est mon petit frère ?
— Quel petit frère ? Tu as rêvé ! répondit sa grand-mère qui était accourue en l’entendant crier.
— Fabien, l’enfant du chou ! Celui qui m’a emmenée au ciel sur le dos de la jument de nuit !
—Tu es folle Rosalie. D’ailleurs tu es assez grande maintenant pour savoir que les bébés ne naissent pas dans les choux.
— Et moi, Grand-Mère, reprit Rosalie les larmes aux yeux, tu ne m’as pas trouvée dans une rose ?
Ursule la prit dans ses bras.
— N’y pense plus, lui dit-elle, et viens m’aider au potager. Tant de choux et tant de roses méritent d’être cueillis ! Tant de jours heureux nous attendent encore ! Un jour, je t’expliquerai tout, ma chérie. Peu importe d’où tu viens, tu seras toujours ma petite-fille.

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