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Le jour où mon libraire m’a manqué de respect

Chers amis, je souhaiterais vous évoquer ce jour où mon libraire m’a manqué de respect. En premier lieu, il faut que je vous présente Hugues, le libraire. Il ne m’a jamais confié son petit nom et je n’ai jamais osé le lui demander, mais celui-ci figure sur le badge qu’il promène négligemment en déambulant dans les rayons de la librairie avec un air recueilli.

À chaque fois que je croise Hugues, j’ai le pressentiment qu’on vient de lui annoncer discrètement la fin du monde et qu’il prend sur lui pour ne pas ébruiter l’affaire. Je ne sais pas vous, mais moi, mon libraire il respire l’intelligence et la culture. Il porte des petites lunettes que Philippe Starck en personne aurait pu dessiner, à ceci près que la couleur jure un peu avec la sobriété du personnage. Ces lunettes, il me semble que c’est une manière pour Hugues de nous laisser deviner l’artiste qui sommeille en lui. Lorsque j’aborde mon libraire, je prends toujours mille précautions pour ne pas le heurter ou le surprendre, je m’en voudrais tellement de l’interrompre dans une méditation relative à la conversation qu’il aurait eu la veille au soir avec Hemingway ou Sartre, après que deux ou trois verres de scotch aient quelque peu échauffés leurs esprits savants. Mais venons-en aux faits : Sans crier gare, un beau matin, Hugues m’a traitée de « poulette » !

En effet, samedi, alors que je m’autorisais enfin à interpeler Hugues en quête du dernier roman encensé par mon magazine préféré, Hugues m’a toisé avec toute l’intelligence qui est la sienne et a déclaré : « Au fond du magasin à gauche, rayon « Chick Lit » ». Je n’en suis toujours pas revenue, Hugues m’a traitée de « poulette » ! Mon esprit torturé n’en a plus trouvé le repos pendant plusieurs jours, pourquoi cet être si policé s’autorisait-il à me ranger dans la famille des gallinacés ? Pour ta peine Hugues, je t’aurais bien volé dans les plumes.

J’ai finalement trouvé le graal au milieu d’une marée de couvertures roses écœurantes m’évoquant davantage des recettes de cupcakes que de la littérature. En mon for intérieur, j’ai eu une pensée émue pour les sœurs Brontë qui en leur temps furent réduites à la nécessité d’emprunter un pseudo masculin pour glaner la crédibilité d’un éditeur et de quelques lecteurs. Car enfin, je suis tentée de monter sur mes ergots, Hugues, un livre écrit par une auteure faisant la part belle au registre émotionnel et à la place des femmes dans la société contemporaine mérite-t-il réellement ton mépris ? Certes Briget Jones n’est pas Jane Eyre, mais enfin, n’est-il pas question entre les lignes dans ce monument de la Chick Lit de la pression sociale qui pèse sur les femmes trentenaires ? La Chick lit ne dit-elle pas quelque chose de notre époque?

Hugues, pourquoi ai-je la désagréable impression que derrière les livres bien rangés de tes rayons, classer s’apparente parfois à stigmatiser ? Kit à faire appel au règne animal, j’aurais bien quelques suggestions à te faire lorsque nos conjoints attardés viendront s’approvisionner en comics. Cette semaine j’ai appris que dans un élevage voisin, une batterie de 5000 poulettes a mis à mort un renard qui était venu leur compter fleurette. Va savoir de quoi sont capables ces volatiles une fois contrariés ! Il faut que je te laisse Hugues car dans la prochaine dystopie que je te propose de mettre en rayon, les femmes du XXI ème siècle, non contente de s’abreuver de sous culture chez des libraires indélicats, jardinent et bricolent, pour ma part je m’en vais donc cultiver mon jardin ;).

Bien à toi Hugues,

H.